Octobre 2000, mon contrat de qualification arrive à son terme. Joris est toujours à Paris, moi ici je n'est rien en vue : ni travail, ni formation complémentaire. Je décide, à l'occasion de mon anniversaire, de m'offrir une nouvelle escapade en Ile-de-France.

Le séjour, initialement prévu pour un week-end, se prolonge à quatre jours, puis une semaine, puis deux. Au bout de trois semaines, ne voyant pas d'issue pour moi à Montpellier et remarquant le grand nombre d'offres d'emploi dans ma discipline sur la région, je me suis lance : pourquoi ne pas m'installer moi aussi dans les environs de Paris ? et pourquoi pas m'installer avec mon chéri ? et comment lui demander cette faveur ? Lui qui sort d'une histoire sentimentale un peu tumultueuse, comment lui faire accepter mon désir ?

Je ne trouve qu'une réponse à ces questions : lui demander s'il est partant et si oui, chercher un job le plus rapidement possible dans le coin. Si non, de toute façon je ne suis pas pour les relations par correspondance et je serai fixée quant à l'avenir de notre jeune couple.

Le soir approche et l'angoisse monte… suis-je prête pour cette nouvelle aventure ? est-ce la bonne solution ? est-ce une solution ? sera-t-il content ou effrayé ?

Le seul moyen de le savoir est de lui poser la question. Je dois le faire, je vais le faire !

Il rentre du travail à 23h, comme d'habitude. Il a l'air contrarié, comme d'habitude. Il est allé boire un coup avec ses collègues de bureau sans moi, comme d'habitude.

Je lui explique mon point de vue sur la situation, sur mes envies et aspirations. Il me répond qu'il comprend et qu'il sait que c'est une situation difficile. Il n'a pas de solution mais semble comprendre mon désarroi.

Il est tard, j'hésite, je me défile (une fois de plus). Je poserai la question ultime demain.

La nuit se passe, mouvementée mais silencieuse. Je sais que l'intervention de demain marquera la fin ou le début de l'histoire…

8h sonnent, il se réveille difficilement et est un peu pataud. Il a le visage embrumé et boit son café. Moi aussi je suis réveillée, je crains cette journée décisive. Comme pour conjurer ma mauvaise impression, je lui lance spontanément "Si je trouve un travail ici, tu serai d'accord pour que je reste ?"

Voilà, c'est dit. Pas avec la forme escomptée mais c'est dit. Maintenant, la balle est dans son camp. Je ne contrôle plus la situation, je dois subir sa décision.

En quelques seconde, la messe est dite, claire, et sans appel : "NON". Sans autre mot, il quitte l'appartement et se rend à son bureau.

M'étant préparée a cette éventualité, je prépare ma valise et m'apprête à réserver une place pour le premier avion de samedi. Je suis déçue mais pas triste. Sa réaction, après moins de six mois de relation, n'a rien de surprenante, au contraire. Il sait dire non et c'est finalement un bon point pour lui.

Je m'affère au nettoyage de l'appartement mais, bizarrement, je ne me résigne pas totalement : je continue à étudier de très prêt les petites annonces. Sait-on jamais !

Le soir approche. Joris aussi.

Bonjours, bisou. Apparemment, rien n'a changé entre nous. Tout à coup, la phrase magique : "excuses-moi pour ce matin, j'ai bien réfléchi dans la journée et j'ai changé d'avis… tu peux rester. Sous certaines conditions, mais tu peux rester". Sous le coup de ce changement radical de position, je me trouve sans armes.  Tellement surprise que j'ai besoin de lui faire répéter plusieurs fois cette phrase magique "tu peux rester". Les conditions, j'en fait mon affaire, pas de problème j'y suis ouverte – et par ailleurs convaincue qu'elles ne seront plus à l'ordre du jour d'ici quelques temps.

Coup de fils à mes parents, je suis tellement fière d'annoncer mon départ officiel de domicile familial. A mon grand regret, pas d'étonnement à l'autre bout du fil. Ma mère propose même spontanément de m'envoyer quelques affaires supplémentaires par transporteur. Je suis sidérée. Elle d'habitude si possessive, prudente à outrance, angoissée perpétuelle, semble rave, voire même soulagée de mon départ ! Paradoxe incroyable étant donné les circonstances.

Moins d'une semaine plus tard, une valise bourrée d'affaires m'appartenant est dépêchée par mes parents.  Bouffée d'oxygène car depuis mon arrivée, je tourne avec ma brosse à dent, deux lots de sous-vêtements et un pyjama ce qui, il faut bien le reconnaître, est un peu court pour tenir plus d'un week-end et carrément peu pour envisager une expatriation de plusieurs mois.

Parallèlement à mon installation dans l'appartement, j'entreprends de vraies démarches auprès des entreprises et agences d'intérim et je décroche très rapidement plusieurs entretiens concluant. J'ai même le choix entre plusieurs société, moi, la petite gamine de province, sous diplômée et moche.

Après une rapide réflexion, j'opte pour une mission d'intérim m'offrant la possibilité, après avoir fait mes preuves, de poursuivre par un CDI en tant qu'Assistante de Direction dans une entreprise de distribution de fournitures de bureau.

Les mois passent et pour l'instant, tout ce passe plutôt bien et aucune mauvaise surprise ne vient  ternir cette transformation idyllique.

Mon CDI se précise, je négocie mon salaire à 11000 francs brut, soit 1676 euros d'aujourd'hui. Je trouve cela tout à fait correct compte tenu de ma qualification limitée. Jojo est alors fier de moi.